«El arte de no ser gobernados» en LE MONDE DIPLOMATIQUE
Viernes 20 de Diciembre
25 FEB. 2021
Yasmine Khris Maansri
Bien que la mairie d’Iruñea a annulé son colloque sur les inégalités sexuelles, Paola Damonti revient sur la chronologie de son livre, “dérangeant pour certains, libérateur pour d’autres”.
2021-02-25
A l’ère des revendications sociales et de la libération de la parole, les plafonds de verre en tous genres se dénoncent et se démontent, même quand ils atteignent l’intimité la plus profonde. C’est l’exercice auquel s’est prêté Paola Damonti, docteure en études de genre, avec la publication de son livre “La brecha orgasmica” (“Le fossé orgasmique”) qui dénonce un déséquilibre abyssal entre les pratiques sexuelles des hommes et femmes hétérosexuels, à l’image d’autres discriminations de genre, race ou classe.
Cette experte, qui a longtemps travaillé sur les violences dans le couple, rapporte qu’elle est tombée sur des études et données scientifiques qui lui ont fait ouvrir les yeux sur un fait qui n’était pas au cœur des discussions, aussi bien académiques qu’amicales. “On parle de plus en plus des nouvelles sexualités, mais on en oublie que la majorité reste normative : qu’en faisons-nous ? L’orgasme est également au centre des priorités.” Aujourd’hui, ce travail de recherche a pris la forme d’un ouvrage qui était loin de faire l’unanimité alors qu’il n’était pas encore publié.
Le livre, paru aux éditions Katakrak (Iruñea), a fait couler beaucoup d’encre. Il est le fruit d’une sinueuse péripétie qui lui a également valu d’être mis au pilori par une partie de la blogosphère, allant jusqu’à la censure administrative. Alors qu’une conférence devait avoir lieu au mois de janvier 2020, à l’occasion de l’ouverture de la Maison des Femmes (Emakumeen Etxea), le maire en personne, Enrique Maya, a décidé de déprogrammer le colloque.
L’annulation est en décalage avec la montée du mouvement féministe ainsi que du grand intérêt pour le sujet. Un comble pour cette ville qui s’est vue attribuer tacitement le rôle de modèle en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, notamment suite à la tristement célèbre affaire de “La Manada”. “Je ne m’y attendais pas du tout, témoigne l’experte, c’était d’ailleurs le département d’Egalité de la mairie qui avait initialement organisé le débat.”
Paola Damonti reste jusqu’à aujourd’hui dubitative sur l’origine de ce qu’elle dénonce comme une censure “non fondée”. Et à raison, insiste-t-elle. “Une femme sur cinq n’arrive pas à avoir d’orgasme, et le problème est structurel : le plaisir féminin n’est pas mis au centre.” Loin d’être un manifeste idéologique, le livre propose un regard rigoureux et précis sur les éléments à l’origine de ce fossé. “Ce discours aurait été inimaginable il y a 20 ou 30 ans, mais l’époque nous impose de nous intéresser à un tel phénomène. Les inégalités salariales, par exemple, sont connues de tous, mais on ignore encore trop les gouffres qui séparent les réalités masculines et féminines dans la sphère sexuelle.” Paola Damonti puise dans les études et résultats de ses recherches pour appuyer ces théories : “Nous baignons dans des représentations qui sont à des années lumière de la réalité, comme dans les films ou les séries. Le cinéma porno est une aberration en soi”.
Aujourd’hui, après la tenue de conférences et la publication du livre, qui fait sensation sur les réseaux, Paola Damonti relativise sur cette polémique, qui a fait connaître son propos au-delà du monde universitaire. “Je me suis fait des ennemis, mais c’est ce qui m’importe le moins. Je suis très satisfaite à l’idée de savoir qu’on a mis au centre du débat la question de l’orgasme féminin.” La preuve dans les faits : après avoir affiché complet lors de la première conférence, les files se formaient à l’entrée des salles pour les suivantes.
A l’évocation d’une éventuelle traduction, la docteure répond que ce serait une suite très concluante. Pour le moment, l’ouvrage n’est disponible qu’en castillan, mais en attendant, elle se réjouit de l’influence de ses mots, qui “ont eu un véritable impact”.